Dans ses travaux, le chercheur à l’Université du Québec à Trois-Rivières Mathieu Tremblay s’intéresse particulièrement aux effets de la fatigue sur les bras des lanceurs, au baseball. Le marathon de 609 lancers qui s'est déroulé lundi entre les Dodgers et les Blue Jays représente donc un fascinant cas d’études pour le kinésiologue.

Pas moins de 19 lanceurs ont été utilisés dans ce 3e match de la grande finale du baseball majeur, finalement remporté 6-5 par les Angelenos. Les Blue Jays ont envoyé neuf artilleurs différents au monticule, contre dix pour les Dodgers.

Mais selon Tremblay, c’est l’enclos torontois qui en subira les plus forts contrecoups, puisqu'il était déjà affaibli par le temps. Les Dodgers ont eu quand même six journées de repos supplémentaires avant de commencer la série, tandis que les Blue Jays jouaient encore jusqu’au lundi. Donc ils ont eu trois jours de repos seulement.

Au-delà même du match d’hier qui va avoir affecté les lanceurs, il y a tout l’aspect fatigue périphérique qui va avoir une influence, précise celui qui est également lanceur pour le Big Bill de Coaticook, dans la Ligue majeure de baseball du Québec.

Les Dodgers ont disputé plus de matchs à l'automne, en ayant dû passer par le premier tour éliminatoire, tandis que les Blue Jays ont bénéficié d'un laissez-passer grâce à leur statut de champion de division.

Mais ils ont néanmoins passé moins de temps sur les terrains, note Mathieu Tremblay. Ils ont joué 127 matchs, contre 132 pour les Jays. Leur parcours n'a pas été trop cahoteux non plus.

Les Angelinos disposent aussi d'as dans leur manche en Shohei Ohtani, un talent d'une polyvalence exceptionnelle, aussi efficace en attaque qu'en défense.

Il ne compte pas parmi leurs douze lanceurs, puisqu'il agit comme frappeur désigné. Mais le fait qu’Ohtani vienne ce soir comme un peu un 13e lanceur dans l’alignement, ça c’est un avantage certain pour eux. Et on parle pas juste d’un 13e lanceur ordinaire : on parle d’un partant de qualité dans les trois premiers d’une équipe régulière des ligues majeures.

Trois Japonais, Roki Sasaki, Sohei Ohtani et Yoshinobu Yamamoto, peuvent se succéder au monticule des Dodgers.

Photo : imagn images via reuters connect / Kiyoshi Mio

La gestion de la charge du travail des lanceurs est un travail minutieux, et de longue haleine. En octobre, les bras sont sollicités depuis sept mois maintenant et la fatigue s’accumule.

Les matchs sont tellement serrés et difficiles que l’effet de l’adrénaline, à un certain point, va venir surpasser la perception de la douleur. On peut avoir une certaine analgésie juste causée par le stress du match, qui est plus important en Série mondiale que dans les matchs de saison. C’est à considérer.

Et on le voit depuis le début, je te dirais même avec les Blue Jays, avec un gars comme Louis Verland qui va lancer sur plusieurs jours répétés avec une vélocité qui atteint un maximum, toujours constante. On a un partant comme Chris Bassitt aussi, qui arrive en relève en séries deux, trois milles à l’heure au-dessus de ce qu’il produit en saison comme lanceur partant. Tu vois, il y a un petit effet Série mondiale par le contexte, par l’ambiance, par la pression de performance. Il y en a qui vont mieux répondre que d’autres là-dedans.

La rotation de lanceurs de Los Angeles a aussi été moins éprouvée que celle des Blue Jays; plusieurs partants ont raté une partie de la saison en raison d’une blessure.

Les Dodgers sont même l'équipe du baseball majeur avec le plus grand nombre de matchs ratés pour cause de blessures. Les champions en titre ont eu recours à la liste des blessés 37 fois, pour un total de 2585 jours ratés. Les lanceurs Roki Sasaki (137), Blake Snell (121), Emmet Sheehan (92), Tyler Glasnow (72) et Clayton Kershaw (60) ont notamment été poussés à l'écart pendant la campagne.

Une arme à double tranchant, selon Mathieu Tremblay. Tout dépend du niveau de préparation qu’ils ont eu pour revenir, mais souvent ils sont très bien suivis et ces contrôles-là vont en conséquence. C’est certain que la charge totale de la saison va avoir un impact. Pour certains, ça peut être un avantage, parce qu’il y en a qui aiment avoir une certaine baisse de volume dans la saison pour pouvoir prendre le rythme réel. On a quand même 162 matchs pour arriver aux séries et être prêts.

Mais c’est certain que d’un point de vue du moment présent et du contexte des séries, ça peut être un avantage d’avoir une moins grande charge d’entraînement. Tout dépendamment des blessures qu’ils ont eues.

Lundi soir, Yoshibu Yamamoto s’était d’ailleurs porté volontaire pour aller s’échauffer, au cas où le gérant des Dodgers aurait eu besoin de faire appel à un 10e lanceur. Il avait lancé un match complet samedi.

La stratégie des Blue Jays différait; plutôt que de se tourner vers son partant du dernier match comme solution d’urgence, le gérant avait envoyé son partant prévu du lendemain, Shane Bieber, s’échauffer – au cas où le match se poursuivait au-delà de la 18e manche.

Les Dodgers ont utilisé dix lanceurs différents lundi à Los Angeles, dans le match no 3 de la grande finale du baseball majeur.

Photo : AP / Brynn Anderson

S'ils avaient dû employer Bieber, les Blue Jays auraient probablement enchaîné le match no 4 avec un comité de lanceurs, qui aurait pu inclure Bieber, affirme l'expert, qui est aussi consultant pour l'Académie de baseball du Canada.

Pour ce qui est de Yamamoto, ça aurait été un risque à prendre, parce qu’on s’entend : 105 lancers dans le match 2, c'était déjà un très grand volume de sa part, ajoute-t-il. Il voulait se sacrifier pour l’équipe. Mais je pense pas que ça aurait été une bonne idée pour les Dodgers d’effectuer ce move-là. Je pense que ça aurait été difficile de revenir même pour un autre départ à la fin de la série.

Les amateurs torontois doivent maintenant espérer une bonne et longue performance de Bieber, acquis à la date limite des échanges, lors du match no 4, croit Mathieu Tremblay. Toronto est en mode survie. Ils espèrent que Bieber pourra venir effacer la dette accumulée lors du match 3, et rester longtemps dans le match, pour ramener un peu les compteurs à zéro.

Le quatrième match de la Série mondiale sera présenté mardi soir à 20 h (HE). Le cinquième affrontement aura aussi lieu au Dodger Stadium, avant que la confrontation ne se transporte ensuite à Toronto – si nécessaire.